Quand la culture devient un terrain d’influence, et que l’ignorance sert d’arme douce

Dominique Sotiras

11/6/2025

Je m’appelle Etheyas Soeren, une citoyenne parmi tant d’autres.

J’écris ici ce que je vois, ce que je ressens, ce que je crains. Il y a dans l’air un glissement subtil, quasi imperceptible pour qui ne regarde pas. Mais pour qui ouvre les yeux, les signes convergent. Par ce billet, je vous fais part de mes observations, pour que cette histoire n’avance pas dans l’ombre.

Un malaise qui grandit et que l’on balade au quotidien sans sourciller.

Chaque matin, je me réveille avec une sorte de lourdeur : est-ce que ce que j’ai vu hier soir à la télé, émission, doc, publicité, porte un message caché ? Est-ce qu’une image, une phrase, un choix de mot, travaillent déjà à normaliser une pensée ?

Quand je regarde un documentaire au ton noble, avec le mot sacré dans le titre, je ne peux m’empêcher de me demander : qui pose les fonds pour sa réalisation ? Qui tient le fil invisible de cette production ?

Cet après-midi, j’ai vu un film diffusé sur les écrans cinéma de ma ville avec pour titre : Sacré Cœur Je ne suis ni une fervente pratiquante, ni une future adepte. Je suis juste curieuse de tout ce qui touche à la spiritualité.

À la fin de ce documentaire, le nom du principal financeur s’affiche. Un nom qui revient fréquemment sur les réseaux médiatiques depuis quelques années et dont le personnage est très controversé.

Je ne suis pas grand-chose sur la planète. Je ne suis qu’une citoyenne lambda, mais j’observe. Ces multinationales s’infiltrent peu à peu dans les médias, le cinéma, la culture. Pas par la force brute, mais par une infusion lente et c’est sans doute pire.

J’ai lu dans un magazine en ligne qu’un parti d’extrême droite gagne progressivement du terrain. Qu’il instrumentalise certaines iconographies chrétiennes, ressuscite des versets bibliques à son profit. Ce discours s’insinue avec douceur parce que leurs médias de diffusion sont puissants.

Un système est à leur service pour organiser la montée d’une idéologie.

Ce n’est pas une supposition.

Plusieurs enquêtes montrent qu’une multinationale contrôle un nombre croissant de médias et d’actifs culturels : C8, Canal+, CNews, CStar, Europe 1, RFM, le Journal du Dimanche et des magazines grand public tels que Télé-Loisirs, Geo, Voici, Femme actuelle, Capital et Le Journal du dimanche (ref : Voxeurop du 27 mai 2025), Vivendi avale le groupe Lagardère ( maisons d’Edition Grasset, Fayard, Le livre de poche etc …), qui figure au top trois des plus gros éditeurs de livres sur les marchés généraliste et éducatif (ref : Le Monde du 21 novembre 2023) et cette présente liste est non exhaustive.

Quand un groupe acquiert un média, on observe souvent une purge des journalistes ou des programmes, un repositionnement éditorial. Par exemple, I-Télé est devenu CNews en 2017 et devient le porte-voix des idées d’extrême-droite dans le paysage médiatique. Reporters sans frontières estime qu’au moins 500 journalistes au total, qui ont quitté leurs médias suite à la prise de contrôle par une multinationale, ont signé des « clauses de silence » qui leur interdisent de s’exprimer sur leur ancien employeur. (ref : Multinationales.org du 21 mai 2025). Là encore les exemples cités sont non exhaustifs.

Ce système sert aussi de rampe de lancement pour des figures politiques, pour des idéologies.

Le rôle des médias n’est plus simplement de rendre compte : il est de préparer le terrain.

Derrière tout cela, il y a des stratégies financières et juridiques : intimidation, procès en diffamation, pressions internes ou externes contre ceux qui enquêtent.

La culture devient leur champ de bataille et l’ignorance un de leurs leviers

On dit que l’idéologie prospère dans le silence de l’ignorance. Je crois que c’est vrai.

Quand je vois un documentaire qui met en scène un monde qui relève du religieux, avec des familles chrétiennes qui témoignent et dans le générique se révèle que des financeurs sont d’extrême droite, je me demande : Qui a eu l’idée de ce film ? Pour quelles raisons, ce film a vu le jour ? D’autant plus que les avis contraires à cette histoire se sont faits rares voire inexistants. Quel est le but de ce documentaire ?

Je songe aussi à cette idée que j’ai entendue récemment, selon laquelle les auteurs à best-sellers n’écriraient plus eux-mêmes, mais signeraient de leur nom en tant que marque de fabrique des textes écrits par d’autres. Cela rend le livre objet de marketing et non plus un espace de libertés dans lequel le lecteur peut plonger. Le contenu est préparé, calibré, politiquement étudié.

Ce phénomène signale la colonisation de l’édition par des mécanismes commerciaux puissants. L’intégrité, l’originalité, le grain personnel de l’auteur, tout cela semble passer au second plan.

Cette automatisation me dérange et donne à voir du prêt à lire qui remplirait les caisses des maisons d’édition ou pire formaterait l’inconscient collectif.

La culture est en danger : quelles œuvres sont financées, quelles voix reçoivent des récompenses, quels récits sont promus dans les médias publics ou privés, quels films sont distribués dans les réseaux ?

Si on veut faire passer une pensée, une idéologie qui lisse, l’infiltration du paysage médiatique suffit, semblerait-il !

Et l’ignorance est la cible d’un tel marketing !

Dans cette société de consommation qui produit toujours plus vite et qui nous tend dans notre rapport au temps : Se pose-t-on vraiment la question : comment le livre est financé ? Comment l’émission, le film ou le documentaire est ficelé ?

L’absence de transparence réduit notre curiosité et rend l’influence possible.

Nous sommes bercés par les illusions de la 4ème de couverture, par la bande annonce d’un film ou le teaser d’une émission. Vite ! vite ! n’en perdons pas une miette ! regardons avant que cela disparaisse !

À certains moments, j’éprouve de la confusion, le sentiment d’entrer dans une spirale vertigineuse qui m’aspire.

Les maisons d’édition catégorisent, étiquettent et organisent leur marketing non plus selon la beauté des manuscrits, des vérités qu’ils véhiculent mais selon une clientèle ciblée (jeunesse, classique, religieuse, politique, dark romance (deux mots tellement antinomiques : quel est le filigrane de cette littérature ?), fiction ou Fantasy, littérature noire ou blanche etc…) Et si, en plus, ces vitrines éditoriales deviennent des relais idéologiques… alors la boucle est bouclée…Je vacille.

Je vois les magazines dits de société, d’infos, de mode ou de culture dont les images à la Une sautent aux yeux de qui ose les regarder…Je grimace.

Je lis des articles qui parlent de France décadente, de retour aux valeurs, de défendre l’esprit français et je soupçonne ces mots de s’insinuer comme une propagande d’une autre époque…J’ai un haut le cœur.

Je me souviens d’une amie qui m’a dit :

- Mais pourquoi tu as décroché des infos ? Je lui ai répondu

- Parce que je sens l’habillage idéologique.

Elle m’a regardée comme si j’étais paranoïaque.

Et peut-être que je le suis un peu mais si je ne le suis pas tant que ça après tous ces constats ?

Je regarde des films qui bougent, qui claquent, qui font mal aux yeux et aux oreilles comme si l’histoire n’avait que peu d’importance à saisir. Les truquages et les effets spéciaux sont les rois de nos écrans, des images que nous regardons…Je résiste au lavage de cerveau.

Je me demande si mes amies, mes voisins, mes lectrices, remarquent tout cela comme moi ou non.

Peut-on rester neutre devant ce glissement ?

Je ne suis pas une spécialiste, une journaliste, je suis une grande rêveuse qui est interpellée dans son ordinaire par des faits. Alors j’enquête un peu. Je recoupe des articles, je note les passerelles entre médias, les noms qui reviennent. Et je sens que ce n’est pas un hasard.

Cette montée ne se mesure pas toujours au fil des victoires électorales.

Elle se mesure par un lissage culturel et par le fait d’un discours extrémiste, identitaire, conservateur, qui désormais habite les imaginaires sans choquer.

Mais il y a des résistances possibles :

- Eveiller notre curiosité à chercher la transparence dans les productions culturelles, le public a le droit de savoir quel est le fil conducteur de ces réalisations.

- Soutenir les auteurs et les maisons indépendants qui prennent le risque de la diversité.

- Oser pratiquer la critique des médias et la digitale détox le plus souvent possible.

- Apprendre à remettre en question nos choix en matière de littérature, de films, de documentaires, de spectacles… et même dans nos choix de vie. Que voulons-nous vivre au juste ?

Je crois qu’une démocratie forte est une démocratie qui reçoit des récits divers, contradictoires et dissonants. Si l’on n’autorise que l’harmonie douce, on finit par être assourdis. Un peu de divergence d’opinion est essentielle.

Toutes ces histoires, je refuse de les laisser sans témoin

Je ne suis pas historienne, ni une grande figure publique : je suis Etheyas, je vis dans une petite ville, je lis, je regarde et j’écoute avec attention. Mais je refuse de n’être que spectatrice passive d’un monde qui change sans que je comprenne pourquoi. Ma plume est ma seule arme pour dire et ce qui me révolte.

Alors je dépose ici mes mots. Si une lectrice, un lecteur, une étudiante s’interroge, qu’elle ou il sache que ce malaise est partagé. Que le souci de la vérité petite, parfois fragmentaire, est une façon de résister. Et que la culture, pour être défendue, doit redevenir un espace de liberté et non du politiquement correct.

Quand la critique est tue et l’ignorance cultivée, on érode la capacité du citoyen à discerner et c’est alors que l’histoire recommence à se répéter, doucement, sans qu’on entende le bruit de ses pas.

Etheyas Soeren,

Chronique d'une femme qui reprend sa voix